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Dépasser sa peur en amour

Redouter d’être quitté, trompé, de rester seul ou de s’engager… Dans les plis et replis de nos amours sont toujours tapies des craintes. Plus ou moins envahissantes, plus ou moins handicapantes. Leur influence dépend de notre degré de sécurité intérieure.

 

 

Certains s’engagent sur la pointe des pieds, d’autres vivent sous la domination du monstre aux yeux verts, ainsi que Shakespeare dépeignait la jalousie, d’autres encore osent à peine respirer pour ne pas faire fuir leur aimé. Ce peut être une grande peur, qui envahit, retourne, ravage. Ou une petite, qui chuchote, grignote, somnole. Dans tous les cas, elle est là, présente, indissociable de l’amour, en dépit des dénégations et des jolies histoires que l’on se raconte pour s’apaiser.

 

« En amour, les peurs sont proportionnelles aux attentes, explique Vincent Estellon, professeur de psychopathologie clinique à l’université Paul-Valéry de Montpellier et auteur des Sex-Addicts et des États limites (PUF, “Que sais-je ?”). Le partenaire amoureux a toujours, dans le couple, une fonction d’objet complémentaire. Inconsciemment ou pas, nous attendons de lui qu’il nous comprenne, nous devine, nous soutienne narcissiquement, qu’il apaise nos angoisses ou accueille notre colère. »

 

 

Accepter le risque

 

 

Comment aimez-vous ?

Vivez-vous l’amour plutôt dans la proximité ou bien la distance, dans la protection ou le besoin de soutien, dans l’acceptation sereine de l’autre ?

 

Surtout lorsque l’avenir est incertain, que le monde gronde, que l’on a l’impression que les liens sociaux et familiaux se délitent de plus en plus rapidement. « Je reçois de nombreux jeunes adultes en consultation, témoigne la psychologue et psychanalyste Catherine Audibert, auteure entre autres de L’Incapacité d’être seul (Payot). Et je suis étonnée de voir combien la plupart d’entre eux sont angoissés et redoutent de souffrir en faisant le mauvais choix de partenaire. Parmi les patients plus âgés, d’autres peurs sont exprimées : rester seul, se faire manipuler, dominer, être trompé… On oublie que l’amour est toujours un risque, car tout amour contient en lui-même le risque de la perte. C’est pour cela que peur et amour sont indissociables, et c’est ce qu’il nous faut aussi accepter pour pouvoir aimer. »

 

Les cabinets de thérapeutes regorgent d’histoires de déception, de trahison qui se concluent sur un « on ne m’y prendra plus » douloureux et parfois honteux. Ce sont aussi des histoires en forme de rendez-vous manqué ; des rencontres où l’on se garde bien de se donner, par crainte de se faire « voler » ; des choix trop « raisonnables » de partenaires ; des projections amoureuses imaginaires qui nous évitent d’affronter notre réalité et celle de l’autre ; des sabotages, parfois conscients, pour « fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve », comme le chantait Jane Birkin sur des paroles de Serge Gainsbourg.

 

Toutes ces histoires prennent racine dans nos liens affectifs premiers. Et ce passé constitue une ligne de partage, certes pas toujours nette ni toujours immédiatement identifiable, entre la sécurité et l’insécurité affective. Plus le passé est marqué par la perte, l’abandon, la négligence ou encore l’intrusion et la  manipulation, moins les attachements sont sécures. « La configuration première des liens amoureux se tricote dans l’enfance, détaille Vincent Estellon. Ce qui s’est noué dans les liens affectifs familiaux constituera le socle narcissique sur lequel l’enfant se développera. De là naîtra, ou pas, le sentiment que l’on est aimable, respectable et que l’on peut faire confiance. »

 

Catherine Audibert rappelle que, selon le pédiatre et psychanalyste britannique Donald W. Winnicott, la capacité de l’enfant à être seul en se sentant en sécurité (ni abandonné ni « empiété ») détermine en grande partie la façon dont il aimera plus tard. « Sans cette sécurité, la peur de la solitude entraîne un rapport à l’autre de l’ordre du besoin plus que du désir ; a contrario, la peur d’être envahi provoque, elle, des comportements d’évitement et de fuite. »

Être au clair avec son passé

Plus l’angoisse d’abandon ou d’intrusion est forte, moins la sécurité affective intérieure sera solide. « D’où l’intérêt de savoir où l’on en est avec son passé, affirme Yves Mairesse, gestalt-thérapeute. Car ce qui n’est pas identifié se rejoue indéfiniment dans nos relations affectives. Dans chaque rencontre, il y a des éléments implicites et explicites. C’est dans l’implicite que vont se rejouer les enjeux d’attachement inachevés. Et ce qui est complexe et paradoxal, c’est que nous allons autant chercher à réinterpréter un passé, aussi insatisfaisant ou douloureux soit-il, qu’essayer de nous en affranchir. D’où la nécessité de nous pencher sur la façon dont nous avons été regardés, aimés, bousculés ou sécurisés afin de repérer ce qui se répète dans notre présent affectif. »

 

(Re)trouver la force en soi

 

 

Pour Yves Mairesse, il est également indispensable « de repérer nos manques et nos besoins, et d’accepter de les regarder en face ». Sans la connaissance de notre vulnérabilité, pas de sécurité possible. D’abord, parce que le fait d’identifier nos peurs permet de ne pas être totalement sous leur joug ; ensuite, parce que la conscience de soi est le seul grain de sable capable d’enrayer la machine à répéter les scénarios négatifs.

 

Quel est le type de partenaire que je recherche ou que je fuis ? Quel est mon comportement problématique (pour moi ou pour la relation), récurrent (jalousie excessive, dépendance affective ou sexuelle, ruptures choisies ou subies en série…) ? Autant d’interrogations qui nous remettent en position de sujet, donc de force. Elles peuvent être posées dans le cadre d’un travail thérapeutique, mais pas seulement.

 

Isabelle, 39 ans, qui a longtemps été, selon ses mots, une « serial plaquée », a décidé de muscler son autonomie affective comme on musclerait son corps, avec volonté et discipline. « Plutôt que de me précipiter sur un nouveau “partenaire pansement”, j’ai réfléchi à ce que j’aimais faire, aux gens que j’aimais fréquenter, et je me suis fait un programme de bien-être en solo. J’ai pratiqué pendant un an ; au début, j’ai pris sur moi, c’était de l’ordre du sevrage, et puis j’ai pris du plaisir à me faire du bien. Je fréquente un homme formidable depuis un an, c’est chacun chez soi et ça me va très bien pour l’instant. » D’autres décident, une fois le lien noué, de faire part de leurs peurs à leur partenaire. « Oser les dire, dès lors que l’on a un peu confiance en lui, et accueillir les siennes, renforcent le sentiment d’intimité, donc de sécurité », constate Yves Mairesse, qui insiste également sur l’importance d’apprendre à réguler ses émotions (ne pas les refouler, ne pas les laisser déborder).

 

Tisser un lien à deux

 

Catherine Audibert croit aussi dans la magie des rencontres, l’intelligence du couple qui peut apaiser les peurs, aider à guérir les blessures du passé. C’est l’histoire de Louise, 53 ans : « Avant Christian, mon troisième mari, je ne connaissais que les rapports de force ; l’amour, c’était la guerre. Sa bienveillance, sa générosité m’ont désarmée, littéralement. C’est la première fois que j’expérimente la confiance. Pas en moi, pas en lui, mais en nous, et ça fait toute la différence. » En effet, garder à l’esprit que le lien se tisse à deux et apprendre à se positionner comme sujet sont encore les plus sûrs moyens de réduire la peur, de soi et de l’autre, à sa plus petite part.

 

Quatre styles d’attachement

 

Dans la théorie de l’attachement, élaborée par le psychiatre et psychanalyste John Bowlby (1907-1990) après les travaux du pédiatre et psychanalyste Donald W. Winnicott (1896-1971), et enrichie par la psychologue Mary Ainsworth (1913-1999), figurent les principaux profils d’attachement affectif. À chacun de reconnaître le sien.

 

L’attachement sécure. Les émotions ne sont pas envahissantes ni refoulées, le sujet fait preuve d’autonomie (il a la capacité d’être seul tout en étant tranquille et en y prenant du plaisir). Il est réceptif aux demandes de son partenaire, qu’il ne vit ni comme une menace ni comme une obligation.

 

L’attachement insécure détaché ou évitant. Évitement de l’intimité, difficulté à se confier, à exprimer ses émotions, à solliciter les autres (aide ou conseil). Les partenaires sont en général perçus comme non intéressés ou non disponibles.

 

L’attachement insécure préoccupé ou anxieux. L’inquiétude domine, la jalousie ronge, le sujet est hyperémotif, et centré sur ses problèmes ou sur ses craintes (angoisse de la solitude, de l’abandon, dépendance affective et/ou sexuelle).

 

L’attachement craintif. Le sujet est solitaire par méfiance, par crainte de l’intimité, mais il a besoin d’être rassuré. Il est extrêmement vulnérable au rejet et a du mal à s’affirmer.

 

Quatre marqueurs de sécurité

Le conflit est assumé. Il n’est pas récurrent, il n’est ni fui ni provoqué pour intimider ou pour dominer l’autre. Il ne dérape pas.

 

Les besoins et critiques sont exprimés. Avec clarté et respect de l’autre. Ils ne font pas l’objet de marchandage ou encore de culpabilisation.

 

L’absence de l’autre ne déclenche pas d’angoisse. Chacun a ses intérêts, ses relations, ses moments pour soi, et en retire plaisir et confort.

 

La jalousie est raisonnable et raisonnée. Oui au petit aiguillon qui titille le désir ou à la méfiance objectivement légitime (validée par un tiers de confiance), gare à la jalousie envahissante, obsessionnelle et menaçante.

 

Par Martine Teillac, psychanalyste et psychothérapeute de couple, auteure entre autres de Pour un couple durable (Solar éditions). 

 

Source : Cliquez ici

 

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